Choisir son camp ?

Je vois passer régulièrement des injonctions à « choisir son camp », disant que le silence est complice du crime.

Alors voici mon avis, pour ce qu’il importe, c’est-à-dire assez peu, face au monde qui va.

Mon soutien va aux peuples, aux petits, aux opprimés, aux victimes, ceux qui subissent, alors qu’ils n’ont rien demandé que de vivre en paix dans leurs maisons, de subvenir à leurs besoins et de prendre soin de leurs enfants. Et ceci est valable quelle que soit leur origine, leur langue, leur religion.

Les responsables de la situation, ce sont les politiques, les religieux et les financiers, tous ceux qui ont intérêt à ces affrontements, car ils y trouvent matière à conserver leur pouvoir, accroître leurs biens et dominer les peuples, d’une manière ou d’une autre.

Je ne rentrerais pas dans le détail de l’œuf ou de la poule, de qui commet le plus d’atrocités, toute violence est atroce , inutile et condamnable, même celle qu’on tente de justifier en légitime défense. Je pense aux victimes.

La question que je me pose est la raison de ces guerres continuelles, l’actuelle n’étant que le prolongement d’une guerre qui dure depuis plusieurs siècles. Est-ce la possession d’une terre ? La terre n’appartient à personne, nous n’y sommes que de passage pour une durée très limitée. « Terre de nos ancêtres » ? Quelle est la durée « légale » pour que ce terme ait un sens ? 1 000 ans, 3 000, 100 000 ? Selon la perspective où l’on se place, je pourrais aussi revendiquer cette terre, car mes ancêtres (nos ancêtres communs, devrais-je dire) y sont passés, venant d’Afrique de l’Est, avant de venir s’installer en Europe.

Mon idée est que chacun doit avoir le droit à sa maison, son lopin de terre, en paix avec ses voisins, qu’ils soient ou non de la même « race » (nous sommes tous de la race humaine, il me semble) ou d’une religion différente.

Voilà : la religion. Le fond du problème est là, à mon avis. Je ne comprends pas qu’on se batte au nom d’un dieu, qui pourtant est le même pour tous dans ce conflit. Dieu d’Israël, le dieu d’Abraham, patriarche de cette religion, mais le dieu d’Abraham n’est-il pas aussi celui des chrétiens ? Et Ibrahim, Khalil Allah, que vénèrent les musulmans, n’est-il pas le même Abraham ? Dans la mythologie, il y a le messager, la main gauche de Dieu : l’archange Gabriel. Il apparaît à Daniel. Puis c’est lui qui annonce à Marie la venue de son fils. Enfin, sous le nom de Djibril, il apparaît également au prophète Mahomet, et certaines interprétations disent même qu’il lui porte la parole de Dieu.

Ces trois branches vénèrent donc le même Dieu, unique (d’ailleurs, s’il est unique, ce doit donc logiquement être le même pour tous…) Que les formes de le vénérer changent, ainsi que les textes, les rites et les lieux, en fonction des origines, de la culture et de l’époque, c’est normal. De là à se battre en son nom, alors qu’il est le même, excusez-moi, mais je saisis mal la raison.

J’imagine trois représentants de ces religions, se présentant devant Dieu, les mains couvertes de sang, fiers d’avoir combattu les infidèles au nom de leur dieu.

Il leur demande : qu’avez-vous fait, vous, sur cette terre que je vous avais confiée, durant votre court passage, en vous demandant de la faire fructifier, et d’en partager le fruit avec les pauvres, avec l’étranger de passage, avec la veuve et l’orphelin ? Avez-vous suivi mes commandements : Aime ton prochain, ne tue pas. Pourquoi vous présentez-vous ainsi, les mains couvertes de sang ? Chaque blessure que vous avez infligée, c’est à moi que vous l’infligiez.

Voilà ce que j’imagine, et ce que chacun devrait envisager.

J’en reviens à mon propos de départ : à qui profitent ces crimes ? Aux politiques, incapables de s’entendre (ou faisant tout pour ne pas y arriver, car ils y trouvent leur intérêt), aux responsables religieux, avec leurs injonctions à la « guerre sainte », avec leurs rêves de terre promise, quel que soit leur bord, et aux financiers qui profitent de ces conflits pour s’enrichir plus et plus encore. Tous ces gens devraient rendre des comptes.

La terre est notre bien commun, apprenons à la partager justement, équitablement, et à respecter l’autre, même s’il croit différemment, s’il mange différemment, s’il parle différemment. Les différences nous enrichissent, les conflits n’engendrent que la souffrance et tout le monde est finalement perdant (sauf les quelques-uns dont je parlais plus haut).

Illustration : photo de Ricki Rosen

On ne peut dans sa main, garder l’oiseau qui bat des ailes

Le départ

C’est une tradition qu’un enfant, aux alpages,

en gardant le troupeau, coupe une branche au charme,

au noyer, à l’ormeau, pour s’en faire un bâton.

Ce sera dans sa vie un compagnon fidèle,

tout autant une canne servant aux longues marches,

que son arme à la joute, ou encore au combat.

Sara, petite, reçut de son oncle un canif,

à la pointe duquel elle a creusé le bois.

Dans le cours du torrent, elle a puisé du sable

pour frotter le bâton afin de le polir,

de la cire du rucher, l’a longuement enduit,

tant pour le protéger que pour lui apporter

cet aspect si brillant qu’aujourd’hui elle admire.

Valéry Sauvage – On ne peut dans sa main, garder l’oiseau qui bat des ailes

Éditions 7e Ciel

Rue Blondel – le poème

Un texte écrit, devenu une chanson, un roman… Voici le texte d’origine.

Rue Blondel
J’avais dans les vingt ans
Un peu plus, un peu moins
Je traînais mes savates
Dans la grande cité.
Petits boulots par ci
Intérim par là
Grouillot dans les bureaux
De la Chaussée d’Antin
Porte câble à Auteuil
Levé tôt le matin.
J’aimais surtout marcher
Flâner sur les boul’vards
De la Porte St-Martin
A Strasbourg St-Denis.
Alors parfois j’allais
Aux rues où sont les dames
Et j’ai le souvenir
D’être souvent passé
De par la Rue Blondel
Oui mais juste passé
Jamais je ne montais
J’étais bien trop timide
Et j’avais pas la thune.
Or dans la rue Blondel
Y’avait une demoiselle
Que je trouvais jolie
Pas plus âgée que moi
Mais déjà maquillée
Comme aime le bourgeois
Elle avait l’uniforme
Que porte la profession
Une jupette ultra courte
Sur des bas qui grésillent
Et puis un boléro
Fait de fourrure blanche
Ayant peine à cacher
Un soutif en dentelle
Deux tailles trop étroit.
Et malgré tout cela
Elle était si jolie
Mais si triste avec ça
Que toujours je passais
Toujours elle était là
Elle n’avait pas trop l’air
D’attirer le chaland.
Elle se postait toujours
En haut de ses trois marches
Dans le creux d’une porte.
On aurait dit un peu
Comme une pauvre madone
Dessus son piédestal.
Un jour j’étais ému
Par son triste visage
Je montais les trois marches
Et lui dit dans un souffle :
« Vous êtes trop jolie
Pour faire ce métier-là. »
Elle me regarda
Un instant sans rien dire
Puis un joli sourire
Éclaira son visage.
Et moi tout rougissant
Je m’enfuis en courant.
Et depuis ce jour-là
Quand je suis repassé
Rue Blondel voir la fille
Elle avait disparu.



Le roman

Retour de lecture d’Amadou et la sanza

Sur Facebook, Corinne, blogueuse littéraire, a lu « Amadou et la sanza.
https://www.facebook.com/coetseslivres

« Bonjour les livrophiles !

Amadou et la sanza de Valéry Sauvage est un conte paru aux Éditions 7e Ciel . Un roman que j’ai eu la chance de gagner sur le groupe Facebook Lecteurs-Auteurs: la passion des mots. Une lecture plus qu’agréable.

Je ne connaissais pas du tout l’auteur et ma découverte a été excellente. C’est une belle histoire, pleine de douceur, avec quelques accrocs aussi, et un petit côté magique.

L’auteur nous raconte le parcours d’Amadou, un garçon albinos né en Afrique. Il est le fils d’un griot nommé Souleymane et d’une dryade, Acantha. Il a hérité de son père les cheveux crêpus et de sa mère sa peau claire. Un enfant différent.

Les dryades ont élevé Amadou jusqu’à ses 3 ans. Comme c’est un garçon, il devait ensuite rejoindre le monde de son père. Elles l’ont déposé devant un orphelinat. Amadou a été adopté par un couple de Français qui l’ont ramené chez eux, dans un petit village du Poitou. Un environnement inconnu qui sera source de découvertes et de rencontres pour le jeune garçon.

Amadou est un personnage auquel on s’attache très vite. Un enfant intelligent, mûr, qui apprend facilement. Il a gardé de sa vie dans la forêt le sens de l’observation, l’amour et le respect de la nature, des animaux avec lesquels il peut communiquer. Son don pour la musique lui vient de son père.

Ça fait un bien fou de lire un roman comme celui-ci. On ne peut pas parler d’action, mais je ne me suis jamais ennuyée. J’ai lu ce roman d’une traite, un moment ô combien doux et plaisant. Un moment où on retrouve une part de son âme d’enfant, lorsqu’on savait encore accepter le merveilleux.

Mais cela n’empêche pas que, comme dans tout conte, il y ait une morale à retenir. A vous de la découvrir.

L’écriture est agréable et on sent à travers elle l’amour de l’auteur pour cette terre africaine, sa nature , ses habitants.

Installez-vous confortablement et prenez le temps d’ouvrir ce livre. Ne cherchez pas à analyser les personnages ou les situations, il s’agit d’un conte. Mais laissez-vous guider par l’histoire d’Amadou, vous ne le regretterez pas. Je serais d’ailleurs volontiers restée avec lui un peu plus longtemps. »

Jeu



Je joue à faire semblant,
Après tout, la vie n’est qu’un jeu.
Un jet de dés, le chiffre tombe.
On avance de trois cases,
On recule de deux, on passe son tour.
Qu’importe, ce tour reviendra vite
Où l’on pourra rejouer.
Tout jeu a une fin,
Qu’importe si l’on gagne ou si l’on perd.
Un jour aussi notre vie finira.
Qui pourra dire que l’on aura gagné ou perdu ?
Qu’importe, la partie sera finie.
Alors, en attendant, je joue à faire semblant,
Je joue à saisir l’instant qui s’offre,
Je joue à lancer le dé,
Et je regarde où il me mène.
C’est la surprise, c’est la vie,
Qu’importe, c’est le jeu.
Alors, en attendant, je joue à faire semblant.

Valéry Sauvage – 7 janvier 2023

Nuit d’hiver


Une nuit froide et pure,
Où brillent les étoiles,
La lune, au-dessus des arbres,
Éclaire le jardin.
Sous sa lumière blanche
On voit l’herbe givrée.
L’appel de la chouette
Vient troubler le silence.
Moment calme et serein
Où l’on peut oublier
L’agitation du monde
Et la folie des hommes.
Une nuit froide et pure,
Où l’on peut oublier
Notre propre tourment
En rêvant à la lune.
Et de nouveau la chouette
au retour de chasser,
On suit des yeux son vol,
La belle dame blanche.
Et l’on reprend nos rêves,
Douce contemplation
Du squelette des arbres
Dans l’hiver qui s’annonce.

Valéry Sauvage – 2013

Une comptine

Bien malin, petit lapin !
un peu nouille, la grenouille ?
il est tout rond le hérisson,
rond comme l’œil de l’écureuil.
si mignon le petit mouton,
mais le corbeau n’est pas si beau.
le petit ange ? C’est la mésange.
vole plus haut petit oiseau,
fais gaffe au chat planqué là-bas.
Le chien aboie après les oies
mais elles font un si grand bruit,
bien plus que lui qu’il se replie
dedans sa niche, il est pas chiche.
Oh ! un mulot, un escargot,
la coccinelle qui est si belle.
Envole-toi petit insecte,
car dimanche je vais à la pêche !

Valéry Sauvage



La neige


Sous ses pas lourds,
la neige crisse
et son chien suit,
la tête basse.

Le dos courbé,
il va luttant
contre le vent
qui le repousse.

Longue est la route
qui le ramène
à la maison,
parmi les siens.

Depuis longtemps
qu’il est parti,
qui l’attendra
devant le feu ?

Un bol de soupe,
un doux sourire,
tu es enfin
le bienvenu.

Après la guerre,
après la mort,
le désespoir,
trouver repos.

Et au printemps ;
courir les champs
avec son chien
et les oiseaux.

Sur un muret,
pouvoir s’asseoir
parmi les fleurs,
près du ruisseau.

Mais dans la neige
il trébuche
et le chien hurle,
hurle à la mort.

Valéry Sauvage (2013)

Un conte, pour les fêtes…

Bientôt Noël, alors voici un conte de fées…

Il était une fois une fée des jardins…

Vous ne savez peut-être pas ce qu’est une fée des jardins ? Voyons, ces petites fées, qui font pousser les fleurs. Oh ! je sais, elles sont très discrètes. Pourtant, il y en a dans tous les jardins, sur tous les balcons, dans les parcs et même dans les jardineries. Ce sont des fées qui vivent la nuit, c’est pour ça qu’on ne les voit pas, sauf parfois quelque promeneur, la nuit, mais il croit alors avoir vu trente-six chandelles. Car elles sont brillantes, ces petites fées. Bon, je sais, toutes les fées sont brillantes, c’est là un fait établi et je ne dis rien de nouveau. Alors, voyons un peu ce qui est arrivé à la fée de notre histoire.

Andromède, c’est son nom, car faut-il encore le préciser, les fées portent toujours le nom d’astres, d’étoiles, de galaxies ou de n’importe quel autre corps céleste. C’est ce qui leur permet de voler. Donnez un nom banal à une fée, elle ne brillera pas, ne volera pas et dépérira rapidement, ce qui, avouez-le, serait fort dommage. Pourriez-vous imaginer un monde sans fées, ou avec des fées ternes et pâlottes. Andromède, donc, disais-je, si je ne m’interrompais pas moi-même à chaque instant pour expliquer ce que tout le monde sait déjà, Andromède vivait dans un jardin. Elle partageait l’entretien des fleurs avec son amie Cassiopée. Les fleurs demandent beaucoup de soins. Il faut leur parler doucement, les brosser, vérifier que les pétales ne sont pas trop froissés, que le pistil, les étamines, le pollen, tout cela est bien rangé au bon endroit, prêt à attirer les insectes dès le lever du jour. Et je vous assure que ça fait du travail. Les fées des jardins ne sont pas paresseuses comme certaines fées forestières que je connais, mais je m’égare, là n’est pas le propos.

Andromède et Cassiopée s’étaient vu confier la responsabilité du jardin de la famille Dornay. C’était un jardin charmant, madame Dornay avait une passion pour les roses anciennes et surtout celles qui sont parfumées. En effet, une rose sans parfum, c’est tout de même un peu triste. Le rosier demande un travail particulier et méticuleux pour une fée des jardins, tout comme les humains, elles peuvent se piquer aux épines. Certains rosiers sont à ce titre redoutables !

Selon la saison, il y avait aussi un massif de muguet. Un plaisir pour la fée des jardins, car il y a peu à faire, le muguet est assez rustique et mis à part redresser une clochette ou deux, c’est une tâche de tout repos. Les lys, par contre, sont très exigeants pour leur toilette nocturne. Ce n’est pas comme l’iris qui, lui, a bon caractère. Néanmoins, les fées ne se plaignaient pas. Madame Dornay prenait grand soin de son jardin et leur travail nocturne en était facilité.

Le problème, la nuit, ce sont les animaux. Les oiseaux, ça va encore, hiboux, chouettes s’occupent des mulots et autres rongeurs, ce qui n’est pas plus mal. Par contre, les taupes font des dégâts. Non contentes de creuser des galeries, de faire des monticules disgracieux, elles se gavent de vers de terre, qui pourtant sont une aide précieuse au jardinier pour aérer le sol.

Et puis il y a ces fouines, belettes et autres bestioles rusées. Il faut que les fées soient particulièrement prudentes envers cette faune-là.

Hélas, Andromède est une jeune fée, elle doit avoir un peu moins de trois cent cinquante ans (ne lui dites surtout pas que je vous ai révélé son âge, elle me jetterait un sortilège si elle le savait) et elle est parfois un peu étourdie. Une nuit donc, elle était préposée aux pivoines. La pivoine est fort délicate et demande des soins attentifs. Toutefois, Andromède pensait un peu à autre chose, un rendez-vous avec quelque lutin ?

Peut-être devrais-je demander à Cassiopée, elle est au courant de tout, elle, une vraie commère. Mais je m’égare à nouveau, là n’est pas le propos.

L’étourdie, perdue dans son rêve, n’entendit pas la belette qui s’était glissée dans le jardin, cherchant à passer du côté du potager et de là, à s’approcher du poulailler. Une belette ne néglige pas de s’attaquer parfois aux fées, encore qu’il n’y ait pas grand-chose à manger sur une fée.

Pourtant, avec leurs sortilèges, la chasse aux fées se traduit presque toujours par un échec et de cuisantes brûlures dans le pelage. Hélas ! ce soir-là, la fée n’était pas sur ses gardes. La belette, pas très futée, voulut tenter le coup. Un saut et hop, la dent sur l’aile de la fée, mais comme une aile de fée est très fine et très fragile, elle se déchira sous la morsure.

La belette n’attrapa donc rien du tout. Cassiopée, qui lissait les feuilles d’un bel iris botanique bleu, à quelques pas de là, visa la queue de l’animal et une flamme verte fusa immédiatement de son doigt. La belette fila, sa queue crépitant d’étincelles vertes. Elle dut, pour le coup, renoncer à son attaque du poulailler. Ah ! belette, tu sais ce qu’il en coûte de s’attaquer à une fée. Souviens-t’en la prochaine fois. La poule ne jette pas de sortilèges, elle !

Andromède, son aile en lambeaux, furieuse et surtout honteuse de s’être fait attraper de la sorte fila se cacher sous le meuble de jardin où madame Dornay lavait ses outils et rangeait ses pots et ustensiles de rempotage. Elle pleurait à chaudes larmes et ne voulut pas répondre aux appels de son amie Cassiopée. De plus, le matin pointait et Cassiopée dut regagner son abri de jour.

Je ne vous dirai pas où se cachent les fées des jardins durant le jour, il est absolument interdit de dévoiler ce secret. Tous les enfants curieux iraient les déranger et ce serait très risqué pour eux, voyez ce qui est arrivé à la belette ! Voudriez-vous avoir les cheveux qui crépitent de flammes vertes, bleues ou rouges pendant trois jours, sans parler des brûlures qui vont avec ? Les fées des jardins ne sont pas méchantes du tout, bien au contraire, mais il ne faut pas les déranger le jour ni la nuit d’ailleurs.

De toute façon Andromède n’aurait pas pu gagner l’abri de jour, car, avec son aile déchirée, il lui était évidemment impossible de voler.

Voici notre Andromède blottie sous le meuble de jardin, tremblante de ce qui pourrait lui arriver, car le jour est lui aussi plein de dangers, les animaux bien sûr et les humains.

Bon, le chat des Dornay, rien à craindre de ce côté-là, le bon vieux matou sort souvent la nuit, il connaît bien les fées. Quand il était jeune, il avait bien tenté de jouer un peu avec elles, une volée d’étincelles avait rapidement calmé ses ardeurs. Depuis, il avait pris la sage décision de les laisser tranquilles.

Le hérisson vient souvent se cacher sous le meuble, c’est même un de ses coins favoris. Rien à craindre de ce côté, il est très sympathique. Il n’y a pas plus gentil qu’un hérisson en fait. Les mulots sont trop petits et peureux pour constituer une menace. Il y a bien le gros chien du voisin, heureusement le jardin est clos et il n’y pénètre jamais.

Faisons maintenant le tour des humains. Madame Dornay est une femme très aimable, mais quelle serait sa réaction en voyant une fée ?

C’est le problème avec les humains. Ils ne croient que ce qu’ils voient. Quand ils voient quelque chose qu’ils ne connaissent pas, ils ont tendance à ne pas y croire, on les voit alors souvent se frotter les yeux en disant : « Je rêve ? ».

Monsieur Dornay ne s’occupe que du potager. S’il passe parfois dans le jardin des fleurs, c’est pour dire un mot à son épouse, lui apporter un outil, ou l’aider à l’arrosage. Il est plutôt dans les nuages, c’est un savant, je crois. Par contre, il y a les enfants. Les jumeaux, cinq ans de malice (donc dix à eux deux), sont redoutables. Interdiction de jouer au ballon dans le jardin de maman, il y a le pré pour ça. Donc peu de risque de ce côté-là, mais attention à quelque fantaisie qui pourrait leur passer par la tête.

La demoiselle de la maison, gentille fillette de dix ans, est prénommée Daphné. Un peu rêveuse (elle doit tenir de son papa), elle est bonne musicienne. Elle chante des chansons à la mode en s’accompagnant à l’ukulélé. Un cadeau que son père lui avait ramené, revenant d’un congrès scientifique dans les îles du Pacifique. Elle adore son petit instrument et passe tous ses moments de loisir à en jouer et à chercher de nouveaux accords.

Justement la jeune Daphné était ce matin-là dans le jardin et coupait les roses fanées, à la demande de sa maman, retenue dans la cuisine. Les garçons étaient on ne sait où à mijoter quelque bêtise, mais pas dans le jardin en tout cas. Andromède tremblait toujours, sous le choc de son aventure de la nuit. Voici que le long du muret apparut une couleuvre. La couleuvre n’est pas méchante, bien au contraire, elle débarrasse le jardin des petites bestioles nuisibles, mais la pauvre fée n’avait pas besoin de cela. Fort heureusement le hérisson rappliqua pour détourner le serpent du meuble vers lequel il se dirigeait. Trop tard, Andromède avait fui, elle était sortie de son abri et apparaissait en plein jour. Daphné avait entendu son petit cri de frayeur et elle la vit surgir, puis s’immobiliser.

Les deux se regardèrent en chiens de faïence, l’une étonnée de voir une fée, l’autre terrifiée d’être ainsi surprise par un humain. Heureusement, les enfants ne se posent pas de question tout le temps comme les adultes. Daphné vit bien que l’aile de la fée était déchirée, qu’elle ne pouvait pas voler et qu’elle avait peur. Alors elle se baissa à son niveau (la fée mesurait environ vingt-cinq centimètres de hauteur) et lui dit le plus doucement qu’elle put :

– Tu es blessée ? Je peux t’aider ?

Alors, Andromède fondit en larmes.

– Oh ! que vais-je devenir, je ne peux plus voler, et je suis découverte par une humaine.

– Tu n’as rien à craindre de moi, répondit Daphné, je peux t’aider peut-être, te cacher en attendant que ton aile soit guérie, dis-moi ce que je dois faire, ce dont tu as besoin.

Andromède pleurait toujours et d’une voix entrecoupée de sanglots :

– Oh ! oui, cache-moi, j’ai eu si peur.

Daphné souleva doucement la fée dans ses mains et fila vers sa chambre mettre sa nouvelle amie à l’abri.

– Bon, alors, comment allons-nous nous organiser ? demanda-t-elle après avoir fermé la porte et mis le verrou, car on ne sait jamais, les diables de Hugo et Lucas auraient pu débouler. En fait ils venaient rarement dans la chambre de leur sœur, mais sait-on jamais avec eux.

– Un lit, facile, le berceau de la poupée fera l’affaire, je ne joue plus à la poupée depuis longtemps ! La poupée se retrouva rangée en bas de l’armoire. Les draps un peu secoués, défroissés d’un rapide coup de main et le lit fut refait en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Daphné fit le tour de la pièce pour regrouper tous les meubles de poupée de taille adéquate, une chaise, une petite table, voilà qui fera bien l’affaire. Une fois le coin arrangé, elle prit le paravent qui masquait son coin de toilette et le disposa pour isoler la chambrette de la fée.

– Il faut que je te laisse maintenant, je dois finir de couper les roses, je reviendrai ensuite. Repose-toi, ici tu ne risques rien. Et elle sortit en refermant bien la porte derrière elle.

La petite fée s’était assise sur la chaise, posant les coudes sur la table, elle tentait de reprendre ses esprits et de faire le bilan de la situation. Car les fées, sous des dehors futiles, réfléchissent quand même beaucoup, parfois trop tard, comme dans le cas d’Andromède, mais bon, ça permet au moins de tirer les conséquences de ses erreurs.

Combien de temps me faudra-t-il avant de pouvoir voler à nouveau, se demandait-elle. Une aile déchirée, cela arrive, les ronces et buissons épineux font parfois des dégâts. Il faut bien quelques jours avant que la membrane ne se refasse. Cette petite Daphné me semble bien gentille, je devrais pouvoir lui faire confiance. En ce qui concerne le reste de la famille, il ne faut surtout pas qu’ils me voient. Épuisée par toutes ces émotions, elle se coucha dans le lit de poupée et s’endormit aussitôt.

Quand Daphné revint de son jardinage, elle trouva la fée qui ronflait de tout son cœur. Eh oui ! les fées ronflent, ça c’est moins connu, pourtant c’est un fait, je peux vous le confirmer ! (Ah ! mais je ne vous ai rien dit, hein !… surtout, n’allez pas le répéter).

Andromède ne se réveilla qu’à la tombée de la nuit. Daphné était repartie, probablement pour le dîner. La fée en profita pour explorer son nouveau domaine. Elle jeta un coup d’œil à la fenêtre qui donnait sur le jardin, il faisait encore trop clair pour que Cassiopée ait repris le travail. Allait-elle s’en sortir seule, ou bien, probablement, avait-elle prévenu les autorités féeriques et on allait lui envoyer une intérimaire. Pas cette souillon de Gemma j’espère, elle ne sait pas nettoyer correctement les tulipes ni aucune fleur à bulbe.

Puis elle se rappela soudainement son rendez-vous avec le lutin du vieux saule. Flûte ! se dit-elle, il va croire que je l’ai oublié. Il va m’attendre toute la soirée et probablement dévorer toutes les framboises qu’il devait m’apporter. Car les fées des jardins raffolent des framboises, des fraises des bois et aussi des autres baies, mais à un moindre niveau.

Justement, Daphné remontait après son repas et elle avait apporté avec elle une coupelle de petits fruits rouges, se demandant bien ce que la fée pouvait manger. Elle ne pouvait pas mieux tomber. Andromède fut ravie et même si les groseilles n’étaient pas ses préférées, elle les dévora quand même après avoir raflé toutes les framboises. Décidément cette petite humaine était très fréquentable.

Les nouvelles amies bavardèrent en chuchotant une partie de la nuit, Andromède n’était plus fatiguée et Daphné bien trop excitée par l’aventure pour pouvoir fermer l’œil, ce qu’il fallut bien quand même se résoudre à faire à une heure du matin, car une fillette de dix ans n’est pas encore bien entraînée aux nuits blanches. Je ne vous dirai pas de quoi il fut question, car j’ai déjà été fort indiscret depuis le début de cette histoire et les confidences de deux demoiselles ne vous regardent pas. Enfin je vous dirai juste qu’on parla du lutin et du fils du voisin qui va entrer l’an prochain au collège. Mais je n’ai rien dit…

Daphné dormait donc, sans ronfler pour sa part et Andromède regardait par la fenêtre, guettant les lueurs des fées dans le jardin. Effectivement, elle reconnaissait bien les couleurs bariolées de Gemma, l’intérimaire. Ah flûte ! se dit-elle à nouveau, il va falloir repasser derrière elle comme la dernière fois qu’elle est venue.

Un peu plus loin Cassiopée prenait soin des roses. Ses couleurs à elle étaient beaucoup mieux assorties. Les couleurs sont, chez les fées, comme une signature. On peut reconnaître au premier coup d’œil de qui il s’agit. Elles marquent aussi le caractère de l’individu. Les couleurs de Gemma étaient un peu criardes, mal assorties, une pointe d’orange à côté du violet et du bleu, des couleurs vives, sans nuances. Une fée un peu brouillonne et pas très bien élevée. Alors qu’Andromède était dans un dégradé de bleus. Elle n’était pas peu fière de sa palette, un tantinet coquette même.

Elle se détourna du jardin, un peu énervée de ne pouvoir soigner elle-même ses chères fleurs et prit un livre sur le bureau de son hôtesse. Les fées ne savent pas lire, mais elles aiment beaucoup le dessin que font les lettres et elle passa le reste de la nuit à rechercher les « f », les « m » et aussi le « w », beaucoup plus rare.

Elle se rendormit au petit matin, peu après Daphné se réveillait. Cette dernière eut un grand sourire en entendant le ronflement sonore du petit être, se demandant comment un si petit nez pouvait faire autant de bruit ?

En partant, elle n’avait pas bien refermé la porte. Balthazar, qui passait par là, en profita pour se faufiler. Ah ! oui, Balthazar, je vous en ai déjà parlé, c’est le chat de la maison. Comme je le disais donc, il connaissait bien les fées, car il chassait souvent la nuit dans le jardin et savait que ces petites personnes volantes pouvaient être dangereuses.

Revenons à notre récit, le chat se faufila. Vous savez bien que dès qu’un chat voit une porte légèrement entr’ouverte, il faut qu’il la pousse et aille voir de l’autre côté ce qui s’y passe. C’est même une des activités principales de sa vie de chat.

Et curieux comme un chat qu’il était, entendant le ronflement en provenance de derrière le paravent, il contourna celui-ci pour aller voir. Oh ! Oh ! une fée sans défense, endormie qui plus est. Endormie, c’est vite dit, la fée ne dort que d’un œil et d’une oreille (vous ai-je dit que les fées ont de très jolies petites oreilles pointues ?).

Andromède, ayant senti une présence, se redressa brusquement. Elle pointa le doigt au bout duquel commencèrent à crépiter quelques étincelles bleues (elles sont vertes chez Cassiopée et bleues chez Andromède, c’est comme ça, ne me demandez pas pourquoi).

Le chat, ayant bonne mémoire, n’alla pas plus loin dans sa tentative. Il se replia prudemment, fit le tour de la chambre en reniflant de-ci de-là pour se donner une contenance et fila dans le couloir sans demander son reste.

Hou là là ! Une galopade dans le couloir. Une tornade pénétra alors dans la pièce. Catastrophe ! c’étaient les jumeaux. Lucas et Hugo, Hugo et Lucas, seule Daphné savait très bien les différencier. Même leur mère et à plus forte raison leur père se faisait prendre quand l’un voulait se faire passer pour l’autre, ce qui est fréquent quand les jumeaux font des bêtises, c’est-à-dire environ dix fois par jour. Ils filèrent directement au bureau, raflèrent tous les crayons de couleur dont ils avaient besoin. Ils repartirent aussi sec, sans avoir regardé derrière le paravent, ce qui est fort heureux pour Andromède qui s’était recroquevillée dans le lit de poupée, tirant sur sa tête le petit drap.

Quand Daphné revint, elle chercha son amie qui avait disparu. Elle la retrouva toute tremblante au fond de l’armoire, près de la poupée qui y avait été reléguée. Après l’avoir consolée, elle lui promit de bien refermer la porte dorénavant.

Le lendemain fut heureusement une journée plus calme. Les jumeaux étaient partis à la piscine, le chat avait compris la leçon et préférait prudemment faire sa sieste sur le canapé du salon, malgré l’interdiction formelle de madame Dornay. Que celui qui a réussi à faire obéir un chat vienne me le dire immédiatement !

Monsieur Dornay ne présentait aucun risque, il ne mettait jamais les pieds dans la chambre de sa fille, restant la majeure partie du temps dans son bureau à effectuer de savants calculs et la mineure partie restante à cultiver des variétés rares de tomates et autres légumes.

Andromède se remettait rapidement et faisait quelques tentatives de vol dans la chambre. Oh ! pas bien longtemps à chaque fois, la membrane n’était pas encore bien renforcée. Elle voletait du lit de Daphné au bureau, puis jusqu’au bord de la fenêtre où elle faisait de longues pauses, observant le jardin de jour. Elle avait décidé de caler ses périodes de sommeil sur celles de son amie, pour profiter de sa présence et aussi pour des raisons de sécurité. Daphné passait en conséquence beaucoup plus de temps dans sa chambre. Elle sortait son ukulélé et jouait des petits airs des îles que son papa lui avait appris : « Waikalulu », « Hawaiian Boy », « Haele ». Andromède découvrait la musique et cela lui plaisait beaucoup. Elle prenait des poses, esquissait un semblant de pas de danse et finissait par s’envoler, ce qui lui était beaucoup plus naturel que de danser.

Le jour suivant elle avait retrouvé toute son aptitude au vol. Il lui tardait d’être au soir pour retourner dans le jardin. Il fallait reprendre le travail, car on ne pouvait pas laisser Gemma plus longtemps bâcler les soins aux fleurs. Et puis (mais elle n’osait pas l’avouer), elle avait envie de revoir le lutin du vieux saule…

Elle fit ses adieux à Daphné, en la remerciant de tout son cœur. Elles se promirent de se rencontrer à la nuit tombante, au fond du jardin, discrètement pour que les autres membres de la famille n’en soient pas informés. Un humain qui connaissait les fées, c’était déjà exceptionnel et cela devait le rester.

Puis Daphné ouvrit la fenêtre et Andromède s’envola, en laissant derrière elle un petit sillage d’étincelles bleues. Depuis, elles se retrouvent comme elles se l’étaient promis, au fond du jardin, près du meuble de rempotage, là où Daphné l’avait vue pour la première fois. Et Daphné reste toujours la seule humaine à connaître l’existence des fées des jardins.

La seule humaine ? « Et toi ? », me direz-vous. Moi ? Je ne suis pas humain : je suis le lutin du vieux saule.

Fin

Quand se fait le silence

Quand se fait le silence
Et que vers l’intérieur
Se sont tournés mes sens,
J’entrevois la lumière
D’un monde calme, parfait.
Une marée puissante
Donne rythme à ma vie,
Et lentement je suis
Cette vague d’Amour
Qui jamais ne finit.
Je ne peux pas décrire
Le flot qui me submerge,
Une joie sans pareille,
Une telle harmonie.
Mais quand le bruit revient
Me rappeler au monde,
Il reste au fond de moi
Une douce lueur
Pour me montrer la voie.

Valéry Sauvage (1994)