L’aile d’une libellule

J’ai appris la géométrie en regardant
l’aile d’une libellule, la toile d’une araignée,
la vrille d’une bryone.
J’ai appris la musique en écoutant
l’oiseau qui chantait, le soir,
sur la branche du vieux noyer,
en écoutant le glou-glou de l’eau du ruisseau
quand elle passe sur les rochers,
laissant derrière elle quelques bouillons d’écume.
J’ai vu le syrphe ceinturé qui butinait la rose,
et dans l’instant d’après,
j’ai vu l’araignée-crabe qui en faisait sa proie.
J’ai vu, dans la haie, un rayon de soleil éclairer
la feuille sèche, enroulée sur elle-même,
telle un cigare abandonné.
J’ai vu les gouttes de rosée, délicates, sur les hampes des mousses.
Dans ces gouttes on voyait, en reflet, le ciel et ses nuages.
J’ai découvert l’infini, contemplant les étoiles,
allongé dans l’herbe, lors des nuits d’été,
bercé par le bruissement de mille insectes
et par le cri des chouettes dans le lointain.
Rentré dans ma chambre, j’ai frémi soudain
quand le loir s’est mis à gratter, dans la charpente.
J’ai entendu la pluie crépiter sur les tuiles du toit.
Alors, en m’endormant, à chacun de mes souffles,
j’ai senti respirer le monde.

Valéry Sauvage – juillet 2021

Prendre le temps de respirer

Nous sommes si près, et nous ne le savons pas.
Ce que nous cherchons est en nous,
le moyen de l’atteindre, nous l’avons depuis toujours.
Il ne nous manque que l’attention.
Notre attention est détournée de l’essentiel à chaque instant,
par mille tentations, mille désirs, mille broutilles.
Nous vivons dans l’illusoire, nous poursuivons le dérisoire.
Il s’en faut d’un rien pour qu’enfin l’on s’éveille,
que l’on sorte de ce cauchemar où nous vivons,
que l’on trouve enfin la lumière que nous cherchons.
Ce rien, c’est l’attention au flux de la vie qui est en nous.
Le flux et le reflux, ce souffle qui nous anime,
à chaque instant, il est présent, il nous nourrit,
et nous, nous l’ignorons, préférant nos chimères.
Puisqu’il est là, depuis toujours, que nous importe.
C’est là l’erreur. Oui, il nous importe,
et plus que tout, car sans lui, que serait le reste ?
Il nous faut retrouver la conscience de ce qui nous anime,
la sensation qui naît au fond de nous quand va et vient
l’air qui nous maintient en vie.
C’est comme une caresse auprès de notre cœur,
à chaque aller, à chaque retour de chaque souffle.
Et l’on comprend que jamais, non, jamais, cette caresse ne nous quitte.
Elle est la porte qui ouvre vers un monde paisible, calme et serein.
Un monde de joie qui était là, en nous, sans que nous le sachions.
Enfants, nous l’avions bien senti, mais nous l’avions perdu,
et depuis ce temps-là nous étions égarés, apeurés, et nous le recherchions.
Fous que nous étions, toujours de l’avant, toujours au-dehors,
toujours au loin, mais jamais au-dedans, là où il se trouvait.
Toutes ces années que nous avons vécues,
où nous sommes passés à côté de nous-mêmes.
Partout nous cherchions la clé qui se trouvait dans notre poche.
Alors, il est peut-être temps de se poser, de cesser la course folle,
de prendre enfin le temps de respirer, de vraiment respirer,
de passer un moment à poser notre attention à l’endroit où il faut.
Arrêter de courir, arrêter de vouloir, et arrêter de croire,
Juste s’asseoir un instant, juste prendre le temps,
respirer lentement, juste respirer pour sentit enfin
en nous cette caresse, cette paix, cette joie.

Le dit d’Athanase, le sage de la montagne

Valéry Sauvage – juillet 2021

Merry Melancholy

J’aime beaucoup ce titre, une « joyeuse mélancolie ». Et cette pièce est importante dans mon parcours de musicien, car c’est la première pièce de luth que j’ai jouée lors d’un examen, au conservatoire, avec au jury, le regretté Guy Robert. C’était dans les années 80.

Fêlé de la calebasse

On dit que je suis fêlé de la calebasse,
Moi, je dis que c’est par là que la lumière entre.
(je n’ai pas inventé cette idée, mais la trouvant bonne, je l’adopte.)
Et sans lumière, notre vie serait bien triste.
Laissez donc entrer un peu de lumière dans votre vie.
Je parle aux libellules. Pas vous ?
Pourquoi ne pas essayer.
Il suffit de s’approcher doucement,
d’admirer le petit animal.
Puis, on peut dire quelques mots à voix basse.
Je ne sais pas si les libellules entendent,
et je pense qu’elles n’ont pas appris notre langue,
mais qu’importe. Le message passe tout de même.
Après chaque rencontre, je remercie l’insecte,
pour le temps qu’il a bien voulu m’accorder.
Voilà le secret des belles images qu’ils m’offrent,
et des moments précieux que je passe en leur compagnie.
Peut-être certains diront que je perds mon temps,
je crois au contraire que je gagne bien plus
que ce après quoi courent la plupart des gens.
Ce monde est rempli de merveilles,
si l’on veut bien prendre le temps de les observer.
Mais qui prend ce temps-là ? On nous répète à l’envi
que le temps c’est de l’argent. Je prends le temps,
je vous laisse l’argent, et ne crois pas du tout
que je sois le perdant de cet étrange échange.
Qu’une libellule me laisse, pour un instant,
la regarder dans les yeux est un moment rare et précieux.
Alors, adieu, je retourne voir mes fées.

Valéry Sauvage – juillet 2021

Sympetrum sanguin (femelle)

Scories et poussières, écume et brouillards

Scories et poussières, écume et brouillards.
La vie n’est faite que de nuages, d’infimes particules.
Notre regard ne voit que la surface des choses,
notre esprit ne comprend que des bribes éparses
d’un monde qui nous dépasse et où l’on est perdus.
Nous nous disputons autour de nos propres ignorances,
croyant avoir raison quand nous ne savons rien.
Celui qui sait n’a rien à dire, il sait, cela suffit.
Celui qui ne sait pas cherche à convaincre l’autre
qu’il en sait plus que lui, en vain, toujours en vain.
Car il est vain de croire, vain d’espérer savoir,
vain de chercher encore, dans ce monde, un sens à notre vie.
Ce n’est pas dans ce monde qu’on pourra le trouver,
la clé n’est pas dans ce théâtre peuplé d’ombres,
rempli de sombres certitudes, d’étranges futilités.
La clé est ailleurs, il faut abandonner ce désir de comprendre.
Il n’y a rien à comprendre en ce monde,
Il y a à vivre un autre monde, à le trouver en soi,
car au-dehors, c’est sûr, jamais on ne le trouvera.
Mais c’est en soi qu’est la porte qu’il nous faut ouvrir.
Alors, quand la porte s’ouvre, alors seulement,
nous comprenons ce qu’ici nous sommes venus faire.

Le dit d’Athanase, le sage de la montagne.
Valéry Sauvage – juillet 2021

L’enfer et le paradis.

L’enfer et le paradis ne sont séparés que par une feuille de papier.
Nous vivons notre propre enfer chaque jour.
Regrets du temps passé, des bons moments laissés derrière nous,
ou de ceux qu’on a manqués et dont on se désole.
Puis nous regardons vers le futur,
espoir d’un avenir meilleur,
désir de trouver le bonheur qui nous a jusque-là manqué,
mais aussi peur d’une fin inéluctable.
Nous oscillons sans cesse entre ces deux pôles,
entre le manque de ce qui fut
et le manque de ce qu’on voudrait qu’il advienne.
Qu’importe le passé ou le futur,
ce qui reste en nous c’est ce manque
et cette peur d’une mort qui surviendra
alors que nous n’aurons pas accompli ce que nous souhaitions.
Pourtant nous sommes si proches d’accomplir notre rêve.
Une feuille de papier nous en sépare, et c’est notre conscience.
Pas la conscience d’être nous-même, avec nos pensées, nos désirs,
nos soucis et tout ce lourd bagage que nous traînons avec nous sans cesse,
non, une autre conscience, qui nous habite mais que nous ignorons.
La conscience que nous sommes aussi autre chose
que ce que nous avons toujours cru être.
Une plénitude, une joie profonde, une paix intérieure,
un amour qui ne doit rien et n’attend rien de personne,
mais qui existe par lui-même.
Tout ça est aussi en nous, et nous pouvons y accéder à chaque instant,
nous pouvons nous éveiller à cette conscience en franchissant
cette feuille de papier qui nous en sépare,
qui sépare notre enfer de notre paradis.
Et cette feuille, c’est le présent, l’instant présent,
le passé n’est plus, le futur n’est qu’un rêve,
seul le présent compte, et c’est à lui qu’il faut se fier.
Inspirer, expirer, être attentif à l’instant qui passe
quand l’air entre, quand l’air sort.
C’est un monde nouveau qui s’ouvre à nous,
qu’il nous faut découvrir, explorer, habiter.
À quoi bon toujours courir après des chimères,
à quoi bon se bercer de vains espoirs,
à quoi bon se lamenter sur notre sort,
alors que chaque instant contient toute la joie du monde ?

Le dit d’Athanase, le sage de la montagne.

Valéry Sauvage – juin 2021