La conscience d’une goutte dans l’océan

La goutte ne sait pas qu’elle participe de l’océan
jusqu’à ce qu’elle se fonde dans son immensité.
Avant ce moment ultime, elle se demande
ce qui va se passer à la fin de sa vie de goutte,
et elle a peur, peur de perdre sa conscience de goutte,
la sécurité de ses limites, peur de l’inconnu.
Puis elle découvre l’infini et alors elle se réjouit.
Si, tout en étant encore une goutte, elle découvre sa nature d’océan,
alors la peur disparaît, que lui importe la fin de sa vie de goutte,
puisqu’elle sait qu’elle est l’océan, que la fin n’est qu’un début,
que les limites vont s’effacer, qu’elles ne sont pas réelles,
qu’elles ne sont que l’illusion d’être une goutte, quand elle est l’océan,
qu’elles ne sont que l’ignorance de ce qu’elle est réellement,
de ce qu’elle a toujours été et de ce qu’elle sera toujours :
l’immensité et l’infini, l’éternité.

Le dit d’Athanase, le sage de la montagne
Valéry Sauvage –- octobre 2021

Le rêve d’une statue

Sombres statues de pierre, alignées sous la lune,
ruminant des pensées pleines de mélancolie,
dans les noires crevasses de vos têtes défuntes.
Le lichen et la mousse dont vous êtes couvertes
ont effacé les traits qu’on vous avait donnés.
À vos pieds, répandus, on peut voir les morceaux
d’une dîme prélevée par le gel et la pluie.
Les siècles vont passer, il ne restera rien
de la gloire que les hommes avaient mis dans vos traits,
que du sable qui coule, s’en va dans la rivière,
et qui, un jour lointain, aura rejoint la mer.
Où seront donc alors vos pensées héroïques ?
Seront-elles le terreau des algues ondulantes,
cheveux d’une Gorgone dont vous teniez la tête,
qu’un sabre fait de pierre avait un jour tranchée.
Cette attitude fière qu’un sculpteur disparu
avait voulu donner, comme une allégorie
de ce monde cruel, dans lequel il vivait
et qui maintenant gît, poussière répandue,
tout au fond de la mer, ignoré des poissons.
Puis, ce sable coulant aux entrailles profondes,
va aller se mêler au magma du volcan,
Il jaillira alors en bombes rugissantes
et en refroidissant, se figera en pierres.
Qui peut dire si un jour, prenant ces roches-là,
le ciseau du sculpteur y creusera la forme
d’un farouche guerrier terrassant le dragon ?
Et le long d’une allée, parmi d’autres statues,
alignées sous la lune, ruminant des pensées
pleines de mélancolies, il se souviendra
des algues ondulantes, dans la mer profonde.

Valéry Sauvage – 15 octobre 2021

Restes d’étoiles

Dans le pré aux moutons,
c’est ainsi que je nomme cette partie du jardin
où vit encore une vieille brebis, maintenant solitaire,
avec laquelle je vais parler chaque matin,
afin qu’elle ait un peu de compagnie,
dans ce pré donc, sont herbes folles et orties,
et chaque pas fait s’envoler tipules et papillons.
Les criquets noirs d’ébène, au ventre rouge,
se réchauffent sur le rocher qui affleure,
voisinant les dernières petites libellules rouges,
en cette arrière-saison, quand le soleil se fait attendre,
car ses rayons sont à cette heure masqués par les grands peupliers.
Je guette ce premier soleil, qui fera briller, au milieu des tiges sèches,
les diadèmes de rosée déposés sur d’infimes toiles d’araignées.
Ce sont, au milieu du pré, comme des bijoux de fées,
qu’après une nuit de danse sous les étoiles,
elles auraient perdus, abandonnés.
Bijoux d’une nuit, d’un matin calme,
éphémère beauté, qui en une heure s’évapore.
Pour l’instant ils scintillent sous le premier rayon,
ils ondulent sous la brise légère et s’irisent.
Ainsi, dans la prairie, au milieu des touffes jaunes
de graminées fanées, au milieu des tapis d’orties
mêlées de menthe sauvage, brillent ces restes d’étoiles.


Valéry Sauvage – 8 octobre 2021



Le chemin de la recherche

Pour certains, nous parcourons ce chemin depuis longtemps. Cela peut prendre bien des formes, très différentes pour chacun de nous. La lecture en constitue une bonne part, ainsi que la pratique de diverses formes de méditation et de contemplation, des rites et des prières, ou encore pour les plus intrépides, l’absorption de substances auxquelles on attribue des pouvoirs magiques. Un jour vient l’éveil. Nous prenons alors conscience que ce que nous cherchions était là depuis toujours, à l’intérieur. Si parfois nous l’avions ressenti, instinctivement, de manière fortuite, à travers quelque écrit ou une expérience involontaire et fugace, nous découvrons à travers l’éveil que cette expérience-là, elle était depuis toujours en nous, et elle le sera jusqu’à la fin de notre passage ici-bas. Je dirais même au-delà, mais seule l’expérience nous le montrera. On constate alors que cette expérience ne peut être décrite dans des livres, ne peut être obtenue par des prières, qu’il n’est pas nécessaire de se rendre dans des lieux consacrés pour la vivre. La parole ne peut transmettre cette expérience, les idées sont impuissantes à en rendre le vécu. Prenons une image simple : vous avez soif, et votre interlocuteur (ou le livre que vous lisez) vous décrit ce qu’est l’expérience de boire un verre d’eau. Vous comprenez bien ce qui vous est transmis, mais vous avez toujours soif, la lecture ou l’audition de l’expérience d’autrui ne vous est d’aucun secours, seule l’expérience que vous ferez par vous-même de boire un verre d’eau, va étancher votre soif. Il en va de même pour l’éveil. Vous pouvez lire tous les livres du monde qui parlent de mille manières de cette expérience, vous pouvez écouter les paroles de maîtres qui feront de longs discours à ce propos, cela ne fera qu’attiser votre soif, mais ne l’étanchera jamais. Il vous faut boire le verre d’eau. Aucun maître ne pourra vous transmettre « son » expérience, mais seulement un guide pourra vous indiquer le moyen de parvenir à la faire par vous-même. Ce moyen, il est très simple, c’est la contemplation du souffle, cet exercice d’attention à ce qui est déjà en nous, depuis le premier jour et le sera jusqu’au dernier, est la clé qui ouvre la porte de la conscience. Le souffle, c’est ce qui nous anime, l’anima, l’âme. Regardez votre âme et vous connaîtrez l’éveil. Observez donc votre souffle, soyez-y attentifs, de manière sincère, et faites l’exercice avec constance, alors vous vous éveillerez à cette conscience.

Le dit d’Athanase, le sage de la montagne

Valéry Sauvage – 05/10/21