Voyage

Un jour, il y a fort longtemps, j’ai quitté ma maison.
Je ne sais pas pourquoi, je suis sorti, je suis parti au loin.
Alors, j’ai erré dans des pays étranges, marché sans savoir où j’allais,
Dans des déserts arides, dans des contrées perdues.
J’étais seul, et pourtant il arrivait que je croise des gens.
Ils semblaient être, comme moi, perdus, ils marchaient sans but.
J’ai tenté de parler avec eux, mais jamais nous ne nous comprenions.
Pour aucun d’entre nous, les mots n’avaient le même sens.
Ils voulaient que je les suive, pensant peut-être qu’à plusieurs,
Nous trouverions la route. Le plus souvent, ne me comprenant pas,
Ils voulaient me battre, et je dus me sauver pour leur échapper.
De même, le temps qui passait n’en faisait qu’à sa tête.
Parfois, il allait lentement, si lentement. Je ressentais l’ennui.
Puis, sans crier gare, il partait en courant, et je devais le suivre.
J’étais attaché à lui par une corde tendue comme à se rompre.
Il me fallait alors courir, sans pouvoir un instant m’arrêter,
Pouvoir me reposer un peu et reprendre mon souffle.
Je dus ainsi réaliser mille actions sans en saisir le sens,
Me lever le matin et me coucher le soir, sans avoir bien compris
Ce qu’entre-temps, j’avais dû accomplir.
J’étais comme une feuille, à l’automne, détachée de son arbre,
Que le vent fait tourner en tous sens
Pour l’abandonner enfin sur le bord du chemin.
C’est ainsi, au bord de ce chemin, que je l’ai rencontré.
C’était un vieil homme, souriant, l’œil malicieux.
Il me dit : Je sais ce qui t’amène, tu cherches ta maison.
Depuis bien trop longtemps que tu en es parti, elle te manque.
Reste donc là où tu es, elle n’est pas bien loin.
Tu es comme l’escargot qui, dans son dos, la porte.
Mais toi, c’est dans ton cœur qu’elle se trouve.
Reste assis là, tranquille, ferme les yeux
Et respire donc un peu, la porte va s’ouvrir.
J’ai fait ce qu’il m’a dit, et au bout d’un instant, j’étais à la maison.
Alors, ouvrant les yeux, j’ai vu que le vieil homme,
Son sourire aux lèvres, et l’éclat dans ses yeux,
S’était levé et, du pas de ma porte, me faisait de la main
Comme un signe d’adieu, avant de prendre le chemin.

Valéry Sauvage – 26/02/2021

Les temps sombres

Ô les temps sombres que nous vivons.
Sombres sont les corps
Et sombres les esprits.
Où sont partis la joie, l’espoir ?
Que sont les amis devenus ?
Nous avons parcouru le monde,
Mais pour y trouver quoi ?
Notre quête est sans fin,
Tout comme est infini
L’univers qui nous entoure.
Nous avons ramassé, par-ci, par-là,
Du bonheur quelques bribes, si vite effacées,
Laissant dans nos mémoires d’infimes traces,
Fugaces, évanescentes,
Et qui finissent toujours par disparaître.
Est-ce là le bonheur dont nous avions rêvé,
Allongés dans un pré, dans ces soirs d’été,
Où nous contemplions les myriades d’étoiles ?
Qu’est-ce qui n’a pas marché,
Où nous sommes-nous donc égarés,
Nous n’aurions pas suivi la bonne route,
Aurions-nous bifurqué sur un mauvais chemin ?
Toujours à courir après ce trompe-l’œil
D’un bonheur étincelant qu’on nous fait miroiter,
Miroir aux alouettes, illusions et paillettes,
Il est grand temps, dans cet âge lugubre,
De détourner les yeux de cette comédie,
De regarder en soi pour y trouver, enfin,
La réponse qu’on avait tant cherchée.

Valéry Sauvage – 17/02/2021