Le bonheur dont nous avions rêvé

Où vas-tu, Ô, toi, être humain ?
Par quelles voies, et sur quel chemin ?
Plutôt que de suivre toujours la même route,
Depuis si longtemps par d’autres balisée,
Une parole sacrée, que l’on veut t’imposer
En dehors de laquelle tu ne saurais penser,
Que ne cherches-tu à trouver ta propre vérité,
Comme ces soirs d’été, allongé dans un pré,
Quand ton regard se tournait vers la voûte céleste.

Fuis ce monde en folie, Qu’y a-t-il donc après ?
Des biens et des richesses que l’on fait miroiter ?
As-tu donc déjà vu des gens riches et heureux ?
Non, plus misérables encore que nous, ils se rendent,
Car ils n’en ont jamais assez pour satisfaire
Leur appétit sans fin, et quand vient le moment de mourir,
La dernière parole, la seule qu’ils savent dire
C’est : « Encore ». Est-ce cela que tu veux ?

Regarde donc ailleurs que ces écrans qui brillent,
Ces idoles que le monde se plaît à adorer :
Est-ce ton idéal ? La star d’un show télé,
Un chanteur de rap, un acteur de ciné,
Ou le champion qui, du pied, tape dans un ballon ?
Voilà la belle image que nous donne ce monde,
D’un prétendu bonheur, miroir aux alouettes,
Dans une pluie de paillettes, sous la lumière intense
Des projecteurs qui éclairent une scène irréelle.

On te répète, encore et toujours, à l’envi,
Qu’il faut gagner ta vie.
Mais ne serais-tu pas plutôt en train de la gâcher ?
Acheter ces habits, qu’il faut bientôt jeter,
Car après une seule saison, les voilà démodés.
Dépenser le salaire d’un mois de ton travail,
Pour posséder enfin le dernier téléphone ?
N’es-tu pas fatigué de courir après toutes ces vaines chimères ?

Ne sommes-nous pas tous en train de danser, ivres et fous,
Inconscient du danger, sur un radeau fragile qui s’est mis à couler ?
Cette vie insensée, que nous nous obstinons à vouloir mener,
Ne conduit nulle part. Il faut nous arrêter,
Prendre un moment, enfin nous demander
Si c’était vraiment là le bonheur dont nous avions rêvé,
Lorsque, ces soirs d’été, allongés dans un pré,
Notre regard se portait vers la voûte céleste.

Valéry Sauvage – 27/01/2021

Creuser en soi le puits

Creuser en soi le puits,
En inspirant, en expirant,
Trouver enfin la source.
Source de joie, de paix,
Qui nous montre le chemin à suivre.
C’est d’elle que naît la compassion,
Et non pas le contraire.
Car si en nous elle se trouve,
On sait qu’en l’autre, elle est aussi.
C’est elle qui nous anime,
C’est pourquoi on la nomme : l’âme.
Tout comme elle anime l’autre,
Ce ne sont pas deux âmes,
Ou mille ou plus encore.
Non, c’est une seule et même âme,
Qui anime le monde.
Je la nomme Anima Mundi.
C’est en nous qu’elle se trouve.
La cherchant au-dehors,
Dans les livres ou les temples,
Nous perdons notre temps.
En nous, il faut creuser le puits,
Inspirer, expirer,
Jusqu’à sentir enfin la douceur
Qui, toujours à l’intérieur,
Se trouvait là,
Depuis le tout début,
Jusqu’à la toute fin,
Elle nous accompagne,
Elle nous tient la main,
Nous montre le chemin.
Jamais, elle ne nous fait défaut,
Car si nous la perdons,
C’est de notre attention
Que nous vient cette perte,
Il nous suffit, sur elle,
De porter l’attention,
En nous, il faut creuser le puits,
Inspirer, expirer,
Elle est là, à sa place,
L’amie la plus fidèle.

Athanase (Le sage de la montagne)

Kabîr, le poète mystique

Dans l’Inde médiévale, on pouvait croiser ces gens du peuple, habités d’une spiritualité profonde, mais vivant en dehors des cercles de savants lettrés et des cénacles religieux établis. Ils ne connaissaient pas le sanskrit et souvent se montraient assez critiques avec les représentants des religions établies.

Kabîr était un tisserand de Bénarès, vivant au XVIᵉ siècle. (il est mort en 1518). On ne peut le rattacher ni à l’Hindouisme, ni à L’Islam, bien que dans ses textes, il cite alternativement les dieux et prophètes de ces deux religions, mais c’est le plus souvent de manière métaphorique. De plus, il est souvent moqueur, parfois critique, envers les Bramhanes, les Cadis et les Pirs. Si on peut le classer parmi les Bhaktas, il n’adore pas un avatar ou un dieu en particulier, comme c’est souvent le cas, mais cite souvent Râm. Il fait plutôt référence dans ce cas au Dieu intérieur, à l’Absolu, au parfait Guru, qui, selon lui, habite en chacun de nous.

« Celui-là est vraiment fou, qui ne se connaît pas lui-même :
S’il se connaissait, il connaîtrait aussi l’Unique. »

(On pourrait rapprocher ces vers du « Connais-toi toi-même » inscrit au fronton du temple de Delphes…)

Il y a dans le message de Kabîr une sorte de syncrétisme qui explique qu’il utilise alternativement différents noms de dieux, y compris de religions différentes, pour personnaliser sa relation à l’absolu, cette relation pouvant aller dans le sens d’un panenthéisme (bien que cette notion ne soit apparue que bien après son existence…).

« Je suis en tout, tout est en moi,
Hors de moi, il n’y a rien. »

Voici un des textes qui me touche particulièrement (ici Hari désigne Râm, ou le Dieu intérieur, l’Absolu, cité à la ligne précédente).

« À quoi bon étudier, à quoi bon réfléchir,
À quoi bon écouter chanter les Écritures ?
À quoi bon lire et écouter ?
Si l’on n’a pas fait l’Expérience de l’Absolu ?
Si tu n’invoques pas le nom de Hari, ô stupide,
À quoi bon te perdre en réflexions ?

Dans l’obscurité, il faut une lampe,
Afin d’apercevoir la Chose unique, invisible,
Cette Chose invisible, je l’ai trouvée,
Car la lampe est cachée en mon corps même !

Dit Kabîr, désormais, je Le connais,
Et Le connaissant, j’ai trouvé la paix,
Mais les gens ne croient pas à mon bonheur,
Et s’ils n’y croient pas, qu’y faire ? »

(S. K. Sorathi 7;)

Dans : « Au cabaret de l’Amour » – Paroles de Kabîr
traduit et annoté par Charlotte Vaudeville (Gallimard-Unesco).
Peinture : Valéry Sauvage